Que devraient penser les pays d'Afrique Subsaharienne de chaînes de valeur mondiales
De FUNDACION ICBC | Biblioteca Virtual
Draper, Peter; Lawrence, Robert, "Que devraient penser les pays d'Afrique Subsaharienne de chaînes de valeur mondiales", ICTSD, Passarelles, Vol.14; number 2, Mai 2013
Le « discours » sur les chaînes de valeur mondiales (CVM) est contesté au regard des inquiétudes soulevées par certains. Il serait en effet développé dans le but de fournir aux pays développés des arguments pour contourner le Cycle de Doha à l’OMC, et imposer un agenda de la libéralisation peu judicieux aux pays en développement (1). D’autres, par contre, pensent que les CVM sont d’une importance capitale dans l’économie mondiale actuelle, et non une prescription purement idéologique. L’Afrique en général et l’Afrique subsaharienne doivent prendre au sérieux le « discours » sur les CVM. Celles-ci doivent être prises en compte par tout pays cherchant à développer ses exportations et à faire prospérer son économie.
Dans quelle mesure les chaînes de valeur mondiales sont-elles « mondiales » ?
Des grandes puissantes sont en train de pousser les pays vers une intégration globale accrue au regard des avantages en qui découlent. Les pays se spécialisent de plus en plus dans des tâches, plutôt que dans des produits(2). On a ainsi ‘factory America’, ‘factory Europe’ et ‘factory Japan’,(3) entre autres chaines de valeurs dont la Chine, le Mexique et certaines parties de l’Asie du Sud-est servent de plates-formes d’approvisionnement. La Chine est le pivot de ces réseaux d’approvisionnement ce qui lui confère la place de premier exportateur mondial, avec une ‘factory China’ émergente en phase de prendre forme. Quant au Mexique, il est un centre d’approvisionnement majeur pour les entreprises américaines, tout comme des pays d’Asie du Sud-est, tels la Thaïlande, qui sont intégrés dans les chaînes de valeur japonaises, alors que la Corée du Sud et Taiwan sont devenus des investisseurs extérieurs importants dans la région de l’Asie du Sud-est et en Chine (4). L’Inde n’est pas en reste, elle joue un rôle important dans les chaînes de valeur mondiales des services (5).
D’autres acteurs régionaux importants tels que le Brésil et la Russie sont, malgré leur poids et leur potentiel économique, essentiellement en marge de ce tableau, en particulier dans la fabrication, bien que le Brésil soit un acteur significatif dans les chaînes de valeur agricoles mondiales. Néanmoins, ces deux pays sont des investisseurs extérieurs de plus en plus importants dans leurs régions, en opérant des chaînes de valeur régionales axées sur leurs marchés intérieurs.
L’Afrique subsaharienne devrait-elle viser à ‘se brancher’ dans les chaînes de valeur mondiales ?
L’Afrique subsaharienne, y compris l’Afrique du Sud, ne s’est pas largement engagée dans les chaînes de valeur mondiales. La région s’est plutôt essentiellement spécialisée dans l’exportation de produits de base vers les marchés mondiaux. Les exportations de produits manufacturés restent faibles. A cela s’ajoute le fait que les pays africains ne sont pas toujours en mesure de respecter des règles d’origine qui exigent une teneur en produits locaux d’au moins 30% de la valeur ajoutée. Ils sont obligés d’importer des composants complémentaires. Toutefois cette perspective de recourir à des intrants importés n’est pas envisageable pour des pays ayant une capacité de production et des moyens financiers très limités. A cela s’ajoute le cout trop élevé des transactions en dépit des nombreux accords commerciaux régionaux, le sous-continent reste fragmenté par des facteurs qui rehaussent les coûts commerciaux tels que le mauvais état des infrastructures, la faiblesse des environnements réglementaires et une administration douanière inefficace.
La solution serait donc pour l’Afrique d’intégrer les chaines en valeur. Mais dans cette perspective il n’est pas réaliste pour les pays africains qui ont une capacité de production très limitée de tenter de développer de manière autonome des CVM à l’échelle de celles coordonnées par les grandes firmes multinationales. A l’exception de l’Afrique du Sud, aucune économie d’Afrique australe ne serait en mesure de développer une chaîne de valeur globale susceptible de parvenir, par sa portée et son efficacité, au niveau mondial.
La stratégie plus prometteuse est donc de s’intégrer dans les chaînes de valeur existantes des grandes firmes multinationales en renforçant les capacités dans des tâches spécifiques, sur une base compétitive à l’échelle globale, et dans le cadre d’une stratégie de diversification plus large en dehors des exportations de ressources. A cet effet, une occasion se présente pour la région qui pourrait à l’image du Vietnam, du Cambodge et du Mexique, profiter des délocalisations des chaînes de valeur mondiales hors de la Chine « China cost » en (6) attirant les grandes firmes multinationales tout comme les investissements étrangers dans des chaînes de valeur du secteur manufacturier. Les pays d’Afrique subsaharienne doivent toutefois disposer des ressources, institutions et sites géographiques requis, pour attirer de tels investissements. Une main-d’œuvre bon marché et productive, en mesure de travailler dans la production industrielle, des infrastructures et une logistique en bon état et à un coût compétitif.
Quelles approches contribueront au renforcement de ces types d’avantages comparatifs dynamiques ?
En tout premier lieu, les firmes multinationales qui opèrent les CVM sont tenues d’importer des intrants intermédiaires, aussi bon marché et aussi efficaces que possible, afin d’exporter. En second lieu, elles doivent avoir accès à des infrastructures de services de réseaux rentables et fiables: télécommunication, transport, énergie; et si possible, à des financements tout comme des professionnels qualifiés pour les opérer. Malheureusement dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les infrastructures nécessaires sont rares, les financements sont limités et les ressources humaines pour les services professionnels et techniques sont restreintes. Enfin, si une grande firme multinationale investit, elle aura besoin en retour l’assurance que ses investissements seront protégés par des lois et règlements.
Il résulte de ces besoins des grandes firmes multinationales plusieurs implications :
D’abord la libéralisation des importations de marchandises, en particulier celles nécessaires comme intrants. Cette libéralisation pourrait être accompagnée par la mise en place de zones économiques spéciales qui promeuvent les exportations de produits manufacturés et autorisent des importations en franchise de droits. Il résulte aussi des besoins des grandes firmes une nécessité de libéraliser des services pour attirer l’IDE dans ce domaine et l’importation temporaire de personnel qualifié. L’accroissement des investissements dans les systèmes éducatifs nationaux afin de former le personnel qualifié nécessaire pour aider à l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales est également requis tout comme la réforme de la douane et des organismes de mise en œuvre des normes afin de développer de réelles attitudes et pratiques dans ce domaine. Le renforcement de régimes appropriés de protection des investissements. La révision et la simplification des règles d’origine dans les marchés de destination. En outre, les décideurs devraient être en relation constante avec les investisseurs actuels et potentiels afin d’identifier ce que ces derniers considèrent comme des obstacles contraignants. La coopération privé-public est vitale, tout comme les politiques industrielles efficaces. Il ressort donc des implications, que pour attirer l’investissement dans les CVM, il faut assurément prendre des mesures telles que l’amélioration des institutions, l’investissement dans les infrastructures, le développement de compétences et les partenariats public-privé, qui sont toutes des éléments reconnus d’une bonne politique de développement.
Toutefois, certains se posent la question de s’avoir si cela ne constitue pas, en soi, un « agenda néolibéral » conçu pour duper les pays africains (et d’autres pays en développement) et contourner le Cycle de Doha. Le « nouveau discours sur le commerce » associé au discours sur les CVM, a été qualifié de simple prétexte pour amener les pays en développement à une libéralisation unilatérale des échanges, afin de rendre le monde « plus sûr » pour les exportations de biens, de services et de capitaux des pays développés (7). Mais en réalité il faut reconnaitre que c’est l’incapacité à élaborer des accords qui répondent effectivement aux besoins pressants, qui a poussé les firmes et les pays qui développent des chaînes de valeur mondiales à négocier des accords commerciaux régionaux plus approfondis pour répondre à leurs besoins et, ce faisant, de contourner l’OMC. En effet au lieu d’un système dans lequel tous les membres sont tenus d’adhérer à toutes les règles, une approche plus attrayante implique une géométrie variable avec des engagements fondamentaux obligatoires complétés par des accords plurilatéraux auxquels seuls certains membres participent. Dans le sillage d’une conclusion fructueuse du Cycle, l’OMC devrait devenir un forum que les membres peuvent utiliser pour négocier des accords qui permettraient à l’OMC de faire concurrence au régionalisme de manière plus efficace (8).
Conclusion
Il est regrettable que les CVM aient été simplement dépeintes comme la dernière version d’un agenda du Consensus de Washington, au lieu d’être reconnues comme créant des possibilités qui aideraient les pays africains à réaliser les objectifs de diversification et de développement. Les pays africains doivent donc adopter des politiques efficaces qui leur permettent de tirer parti de ces opportunités. Ils ne doivent pas se laisser entrainer dans de vieux débats fastidieux entre libre-échange et protection. Il convient donc pour les africains de prendre les mesures qui renforceraient leur participation aux chaînes de valeur mondiales et qui supprimeront les obstacles à l’intégration régionale.
Auteurs: Peter Draper est Directeur de recherche au South African Institute of International Affairs.
Robert Lawrence est professeur à Harvard Kennedy School et Senior Fellow du Peterson Institute for International Economics.
1. Ismail, F (2012) ‘Towards an alternative narrative for the multilateral trading system’, South Centre: Southviews 40(7), novembre.
2. World Trade Organization and Japan External Trade Organization (2011) ‘Trade Patterns and Global Value Chains in East Asia: from trade in goods to trade in tasks’.
3. Baldwin, R and J Lopez-Gonzalez (forthcoming) ‘Supply-chain trade: A portrait of global patterns and several testable hypotheses’, mimeo.
4. Lehmann, JP (2012) ‘China and the Global Supply Chain in Historical Perspective’, in World Economic Forum, op.cit.
5. Stephenson, S (2012) ‘Services and Global Value Chains’, in World Economic Forum, op.cit.
6. Forum économique mondial, op. cit.
7. Ismail, op.cit.
8. Robert Z Lawrence, “Competing with Regionalism by Revitalizing the WTO” in The Future and the WTO: Confronting the Challenges” (Geneva:The International Centre on Trade and Sustainable Development) 2012.