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La mort programmée du multilatéralisme commercial

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Laidi, Zaki, "La mort programmée du multilatéralisme commercial", nota publicada en Les Echos, Février 27, 2013


AWashington comme à Bruxelles, on semble se réjouir de la perspective de signature d'un accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne d'ici à 2014. Cet accord, que l'on qualifie d'accord commercial du siècle, générerait des gains de croissance pour le PNB européen de 1 % par an. Il permettrait ainsi de créer sur le plan géopolitique un ensemble atlantique économiquement intégré, capable de faire contrepoids à la Chine. Du côté américain, cette volonté de contenir la Chine est d'autant plus forte que Washington négocie simultanément un autre accord de libre-échange (TransPacific Part-nership, le fameux TPP) associant les trois pays d'Amérique du Nord (Etats-Unis, Mexique, Canada) à neuf pays asiatiques et pacifiques comptant pour 40 % du commerce extérieur américain. Ainsi, grâce à ces deux accords, Washington disposerait au XXIe siècle de deux mâchoires commerciales : une mâchoire Pacifique et une mâchoire Atlantique représentant 60 % du commerce extérieur américain. L'objectif étant, au travers de ces accords, de placer la barre réglementaire à un niveau suffisamment élevé pour contraindre la Chine à s'adapter aux exigences américaines. De ce « containment » chinois, l'Europe peut tirer avantage, car son alliance commerciale avec les Etats-Unis la placerait dans un meilleur rapport de force avec la Chine. Au terme de ce processus, l'Europe, comme les Etats-Unis, intégrerait 60 % de son commerce international dans les accords bilatéraux, contre 25 % il y a à peine dix ans. Pour autant, ce regain spectaculaire de bilatéralisme ne constitue pas un bonheur sans mélange. La montée en puissance des accords bilatéraux sonne le glas des négociations multilatérales de l'OMC. Le Doha « round » est désormais mort et enterré. Certes, ces accords bilatéraux ne sont théoriquement pas contradictoires avec les accords multilatéraux. Mais, dans les faits, ils ne sont bien. Ils complexifient les règles et excluent les tiers. Or s'il n' y a plus de négociations multilatérales grâce auxquelles l'OMC tirait sa force et sa légitimité, la perte de confiance dans cette institution s'étiolera. Les différends commerciaux se régleront dans des cadres bilatéraux et les disciplines commerciales perdront de leur caractère contraignant. D'autant que les normes privées frappent de plus en plus d'obsolescence les normes publiques. C'est un risque sérieux, quand bien même ses effets n'en seront pas immédiats. Mais il est surprenant de voir que la Commission européenne ne nous donne aucune indication sur les leçons à tirer de la crise du multilatéralisme commercial. Cette même Commission passe sous silence les difficultés considérables que pose la négociation d'un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Nous savons tous que l'enjeu de ces négociations sera réglementaire et non tarifaire. Mais si l'harmonisation et la reconnaissance mutuelle étaient si faciles à atteindre, on comprend mal pourquoi il aurait fallu tant attendre pour lancer une telle négociation. Cette prudence s'impose d'autant plus que la Commission n'évoque pas un autre un risque : celui de voir les Etats-Unis conclure le TPP avant le traité avec L'Europe. Cela leur conférerait pourtant un avantage dans la négociation, car il les aiderait à vouloir étendre à l'Europe les standards qu'ils auraient préalablement imposés aux pays du Pacifique. L'Europe n'aurait alors le choix qu'entre les rejeter en bloc ou les accepter. Mais comme les négociations entre l'Europe et les Etats-Unis auront alors beaucoup avancé, personne ne prendra le risque de les interrompre. L'Europe se rangerait alors aux conditions des Etats-Unis car elle n'aurait pas d'alternative à proposer. Le risque est grand de voir la Commission bâcler cette négociation afin de parvenir à un résultat rapide avant 2014. Or le jeu commercial mondial est un jeu redoutable qui nécessite une vision stratégique d'ensemble. Les Etats-Unis en ont une. Mais peut-on en dire autant de l'Europe ?

Zaki Laïdi

Zaki Laïdi est directeur de recherche à Sciences po, auteur de « Le Monde selon Obama », Champs-Flammarion, 2012.

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